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— Mère ! crie le soldat.

Et cette fois il les embrasse tous à l’unisson en une étreinte passionnée.

Riant et pleurant à la fois, débordante de joie, la femme conduit son mari à la maison. Elle le lavera comme un enfant, elle soignera ses pieds blessés, elle le dorlotera si tendrement. On ne pense plus maintenant à toutes les nuits d’insomnie, de crainte et de doute ! Père est là ; la guerre cruelle l’a épargné.

Berthe se représente fort bien ce tableau, mais elle ne peut pas entrer dans cette maison et y troubler cette scène d’intimité !…

Des larmes lui baignent les yeux…

Et soudain elle pense à Paul.

Sera-t-il également si vieilli, si harassé, si courbé ?

Du coup, elle ressent un saisissant effet de la guerre, ce que la lecture des journaux n’avait pas encore pu lui inspirer…

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L’Église St-Nicolas à Furnes.

Furnes sommeillait paisiblement dans sa couche de verdure. Bien au-dessus des toits aux tuiles rouges, se silhouettait la haute église Ste-Walburge, la gracieuse tour de St-Nicolas et le massif beffroi.

On ne remarquait pourtant pas le même calme qu’à l’ordinaire, à l’intérieur de la petite ville.

Tout comme à Dixmude des petits groupes de bourgeois commentaient activement les faits du jour et le sort d’Anvers :

— Anvers ne capitulera pas, jamais…

— Liège aussi ne céderait pas et les Allemands y furent avant que nous le sûmes…

Berthe entendait ces propos en passant : l’optimisme entêté et le doute ; une incertitude poignante parmi la foule.

Arrivée au vieil hôtel de La Rose Noble la jeune fille sauta de son vélo.

— Ah, te voilà, ma nièce ! cria-t-on bruyamment de l’intérieur.

Un homme bien portant, à la mine affable, l’attendait.

— Oui, mon oncle… je suis venue en vélo. Voici le paquet.

— Père a eu raison. Il ne se fie plus à la poste et on est dans l’expectative des faits qui vont arriver.

— Vous êtes également inquiet, mon oncle ?

— Oui, quelque peu. Les nouvelles sont tellement disparates… D’aucuns disent que les Allemands essuyent une défaite à Anvers et d’autres prétendent que notre armée est en retraite. Quant aux journaux, je n’y ajoute plus foi.

— Tout comme chez nous, il n’y a aucune nouvelle certaine à Ypres.

— Non, on parle beaucoup et on raconte des inepties… Et comment se porte ton père ?

— Il se porte à merveille et vous présente ses sincères amitiés.

— Il passe son temps à dépouiller les journaux ?

— En effet…

— En sait-il plus que moi ?

— Non, mon oncle…

— Et quelles nouvelles de Paul Verhoef ?

— À lire ses dernières lettres, il est toujours bien portant. Mais où est-il à présent ?

— Allons, ne t’attriste pas… Paul te reviendra sain et sauf… Et que puis-je t’offrir à boire, ma petite nièce ? J’aurais déjà dû te poser la question plus tôt.

— Un café, mon oncle… Cela me remettra du voyage. Et tante Julie est-elle toujours bien portante ?

— Oui, mais elle est attristée. Son fils Léon est également sous les drapeaux. Il est de la classe de 14 qui vient d’être rappelée. C’est ce qui la peine, mais il faut pourtant convenir, qu’un garçon comme Léon ne peut pas rester inerte en présence des événements actuels.

— À juger de la célérité avec laquelle on fait rentrer les classes, on peut supposer que la guerre ne sera pas finie de si tôt.

— Finie ? Ô, non !… N’en crois rien…

— Et si Anvers capitule…

— La guerre n’en sera pas terminée pour cela, ma petite. Nous sommes lancés dans la même embarcation que les Anglais et les Français et ces gens ne pensent même pas à la paix…

— Et où se battrait-on donc, encore ?

— Je l’ignore ! En France peut-être… Ils y sont déjà, mais ils approchent également par ici.

— Par ici… mon oncle ?

— Les Français, parfaitement… Comment, tu as tant de journaux chez toi, et tu l’ignores ?

— Je ne les lis pas et père n’en dit pas grand’chose.

— Le front de bataille s’étend, en France, et se dirige vers la mer…