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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/8

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— Mais pas par ici.

— Pas encore… Mais nous ne savons pas ce qu’on prépare. Il faut patienter… et bannir le pessimisme.


Le Petit Belge endigue le flot allemand.

L’oncle Charles ne rassurait pourtant pas beaucoup sa nièce. Et lorsque Berthe quitta Furnes pour rentrer chez elle, elle était plus troublée qu’à l’aller.

Que s’était-il donc passé ?

Ô, pourvu qu’elle eût des nouvelles… ! des nouvelles positives !

Les paysans qu’elle croisait en cours de route, avaient l’air méditatif ; c’était comme si une atmosphère suffoquante planait sur la région et lui donnait un tout autre aspect.

La guerre se transporterait-elle également en ces lieux ?

Faisant une halte à Oostkerke, Berthe y visita une parente, une vieille cousine de sa mère, aux idées originales.

Elle s’était rendue une seule fois à Dixmude, alla également une fois à Furnes chez des parents, et viva depuis lors seule et recluse.

Elle reçut pourtant cordialement la jeune fille.

— Ah, tu as été à Furnes ? Et tu y as vu ton oncle Charles ? Tu désires une tartine ? Non ?… Allons, permets-moi d’insister, tu viens si peu. Vraiment, tu n’en as nulle envie. Mais assieds-toi donc un instant… et causons de la guerre, évidemment… quels tristes temps, n’est-ce pas ?

— C’est cruel, cousine Mélanie.

— L’homme est quand même méchant. Mais sais-tu en réalité pourquoi on se bat ?

— J’ai lu il y a quelque temps…

— C’est à dire, dans les journaux ? interrompit la femme. Ne m’en parle plus ! Je te le dirai en deux mots, moi.

— Faites, cousine.

— Et bien, certain jour St. Pierre, le portier céleste, demanda à Dieu la permission de rendre visite à sa famille en Flandre à l’occasion du nouvel an. Sur quoi St. Pierre endossa ses plus beaux habits et descendit de bonne humeur sur la terre.

Il rentra au ciel le lendemain et le Seigneur lui demanda des nouvelles de son voyage.

— Je dois vous dire, Seigneur, que nous avons bien mangé, bien bu et que nous avons fumé une bonne pipe.

— Et qu’a-t-on dit ?

— On a parlé de l’année heureuse, qu’on avait fait une bonne moisson et que la récolte des pommes de terre et des navets avait été excellente et que d’autre part le bétail se portait bien.

— Et n’a-t-on pas parlé de moi ? demanda le bon Dieu.

St. Pierre hésita quelque peu, puis il dit plus bas :

— Non Seigneur, les gens n’ont pas parlé de vous.

— C’est bien, dit le bon Dieu.

La cousine Mélanie reprenant haleine, dit :

— L’année suivante, St. Pierre demanda à nouveau à pouvoir aller souhaiter la bonne année à sa famille, et il y fut encore autorisé. À son retour le bon Dieu lui demanda des nouvelles.

— Elles sont mauvaises, Seigneur.

— Oui et en quoi, s’il vous plait ?

— Des repas maigres et des gens tristes.

— Et sur quoi la conversation a-t-elle roulée ? demanda le bon Dieu.

— De la mauvaise année, de la maigre moisson, de la mauvaise récolte en pommes de terre et navets, et des maladies parmi le bétail.

— Et on n’a pas parlé de moi ? demanda le bon Dieu.

— Ils ont causé de quelqu’un d’autre que vous, Seigneur.

La cousine Mélanie s’arrêta un instant, puis reprit :

— Sais-tu maintenant pourquoi la guerre s’est déclanchée. Les gens vivaient trop bien : il y avait trop de gloire. On ne pensait même plus au bon Dieu. On vivait trop aisément… Mais cette fois, ils penseront bien au Seigneur !

Berthe connaissait fort bien la nuance morale de la région… C’était un fait positif qu’il y avait des péchés populaires… et s’il y avait de belles vertus, il y avait aussi des défauts inquiétants.

Il y avait des hautains et des prétentieux.