Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/112

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dans une minute d’émotion, n’étaient pas la joie suprême permise à nos misères ! Une grande honte la tenait, et en même temps une grande rancune contre elle et surtout contre lui. Elle estimait avoir commis une faute ridicule, et, comme il arrive toujours, elle en gardait contre elle moins de colère que contre l’homme qui l’avait vue : elle croyait s’être avilie devant lui, et ne lui pardonnait pas.

Elle avait, en lui parlant, de brusques hostilités, de sèches intonations de dépit, des regards durs. Georges ne s’en blessait point ; même, il s’en réjouissait. « Les choses suivent leur cours : c’est bien. » Venant d’une nature plus douce, cette irritation l’eût inquiété ; ici, elle le rassurait. Il ne doutait pas que Jeanne ne dût revenir à lui, un matin de lassitude nouvelle, devant quelque beau paysage ; puisqu’elle avait enfin goûté la paix des larmes, elle voudrait encore en éprouver le charme consolant, et puisqu’elle avait ouvert devant lui le secret qu’elle cachait à tous, elle redemanderait la pitié qui presque nous fait un bonheur de nos tortures elles-mêmes.

La pitié, ce que Jeanne ne voulait pas ! Elle avait été un objet de compassion, elle ! Et pour cet homme ! Son excès de honte lui donnait un excès d’orgueil.

Georges, sans pénétrer exactement les subtilités vaniteuses de cette âme, en comprenait à demi la souffrance : sa sympathie se développait doucement. Il entourait de soins l’épouse de son ami, se faisait frère, se faisait sœur. Il voyait la guérison prochaine ;