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Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/115

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acquis un résultat de hasard, et dans lequel sa volonté n’avait tenu qu’un rôle pitoyable : elle eût préféré ne rien devoir qu’à ses complots. Mais puisque la place était reprise, tant mieux enfin !

— Ah ! nous sommes bien fortes, puis que nous n’avons, pour vaincre, qu’à nous montrer telles que nous sommes !

Elle croyait à la supériorité de son sexe, et pourtant n’estimait pas les autres femmes. Elle les trouvait sottes, et se reconnaissait du génie : lequel ? Du génie, simplement. En défendant le sexe, c’est elle seule qu’elle défendait. À peine admirait-elle dans l’histoire quelques rares personnalités féminines : Cléopâtre, Thaïs, Catherine ; elle n’aimait que les implacables et n’hésitait guère à se sentir la filleule des grandes reines. Elle s’enthousiasmait de vieilles conspirations ourdies par de savantes mains aux ongles roses, et rien ne la révoltait comme d’entendre dire que les femmes sont des êtres irréfléchis et spontanés, guidés bien moins par leur raison que par l’imprévu de leurs bons ou mauvais sentiments. Ses lectures favorises l’entretenaient dans cette foi ; les livres l’avaient abecquée de fausse sagesse, et, avec sa petite ténacité de tourterelle têtue, sa mignonne logique, sa volonté froide, elle s’acheminait vers une croissante sécheresse d’âme, momifiant son cœur : tel lui apparaissait l’idéal de la femme royalisée ; telle elle prétendait être, et à force d’y croire, elle l’était presque devenue.