Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/118

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Jeanne, dans le dépit que lui donnaient ces fugues, redoublait d’aisance et d’amabilité.

À propos de tout elle questionnait et se faisait instruire. Elle avait lu qu’il est doux d’enseigner, et voulait donner cette douceur à la vanité de son ami, sachant bien que rien n’est plus reconnaissant que notre vanité. Aussi voulait-elle, en prenant la science et les idées du maître, l’attacher à elle comme l’auteur s’attache à son œuvre.

Georges savait parfois ; Jeanne écoutait souvent. Elle devinait plutôt qu’elle ne comprenait les choses supérieures, avec cet art qu’ont les femmes de s’insinuer dans les yeux d’un homme qui leur parle et en qui elles croient, de voir en ses regards afin de voir par eux, et de pénétrer, non pas la vérité elle-même, mais l’opinion qu’en a leur interlocuteur ; elles savent saisir votre pensée si vite qu’elles ont eu le temps de la dire avant vous : génie d’assimilation, de substitution même, qui est la plus réelle intelligence de l’autre sexe.

Ils s’occupèrent longuement des préparatifs de ce grand bal. Ils discutaient l’ornementation des jardins et des salles, traçaient des plans, prenaient des notes, et s’égayaient à imaginer d’irréalisables décors.

Quand ils marchaient dans la campagne, Jeanne s’appuyait à son bras, et inclinait son torse vers la gauche pour qu’il la sentît de bien près. Au bout des silences, elle levait son visage joli, et le regardait avec un sourire lent qui se déroulait, tout rouge, sur la