Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/117

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à travers le hasard ; Jeanne admirait des paysages, pour être poétique, et sans trop d’effort, car elle éprouvait devant le beau une impression confuse, plus proche de la sensation que du sentiment, mais réelle.

Elle se jetait dans de subites gaietés, rencontrait des mots piquants, s’alanguissait en de sereines émotions, et reprenait son rire, tout à coup.

— Vous êtes bien femme, lui dit Georges, un jour.

Ce mot faillit amener un désastre. Jeanne dissimula son humeur, mal ; mais elle se consola bientôt et finit même par s’amuser de cette phrase, qui ne prouvait, en somme, que la perfection de sa comédie.

Elle était en ceci dupe de sa vanité ; car elle mettait dans son personnage moins d’étude qu’elle ne pensait : sa jeunesse et sa futilité éclataient malgré tout et crevaient ce masque de futilité même qu’elle avait voulu prendre.

Triste vie ! Elle y trouvait un charme incessant.

Parfois, lorsque Georges se levait tard, elle venait frapper à sa fenêtre, et le raillait.

Il prit des habitudes plus matineuses ; souvent il fut debout avant qu’elle descendît. Il sellait un cheval et suivait Pierre, ou tous deux s’en allaient à pied. Alors, outre la joie intime de ces courses, il prenait plaisir à se savoir désiré, à la savoir vexée un peu, et s’amusait de coquetterie ainsi qu’avec une maîtresse. Contraint par sa nature, il avait entrepris cette conversion comme une conquête d’amour et catéchisait en abbé Louis XV.