Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/207

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droit s’en plaindre, puisque sa faiblesse y souscrivait ? Donc, elle avait accepté qu’on la frustrât d’un peu de joie qui lui venait. Et pourquoi ? Pour d’autres ! Elle se jugeait dupée, volée, par son propre consentement, et s’injuriait de l’avoir donné.

Une seule chose la consolait un peu, et son visage prenait alors une sérénité enfantine : « Dans quelques heures, nous serons seuls. » Elle était impatiente de ce moment.

Il vint.

D’Arsemar avait proposé de déjeuner plus tôt, pour ne se point retarder, et la jeune femme avait accueilli sa demande avec empressement. Elle hâta le service et voulut conduire son mari jusqu’à la grille du parc. Ses mains tremblaient légèrement pendant qu’elle regardait sur la route s’éloigner la petite voiture du comte. Elle écoutait le roulement des roues, et ce bruit déjà lointain lui semblait caressant et terrible. Tout son être criait : Enfin ! Immobile à côté de Georges, et un peu pâle, elle patientait. Le dog-car disparut derrière un bouquet de noisetiers. Alors, elle frémit, elle eut peur d’elle-même et de l’homme qui était là. Dans la suite, elle constata que cette minute avait été la plus exquise et la plus douloureuse de sa vie. Il lui sembla que tout était consommé et qu’au départ de son mari était liée irrévocablement la nécessité de sa chute. Poursuivre l’absent, le rejoindre…

— Pierre ! cria-t-elle… Mais sa voix était si épuisée…