Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentant la poigne du bourreau sur sa nuque, il embrassait sa vie dans un adieu suprême.

Un autre que Pierre eût deviné peut-être ; mais il est des natures ou le soupçon du crime ne monte pas.

— Encore une heure, disait Georges, et je parlerai.

Sa fièvre s’était presque évanouie dans les bras d’Arsemar.

— Viens au jardin, mon Georges ; nous serons mieux pour causer.

Desreynes se fit serment : « Dans une heure ! »

Jeanne, là-haut, par une intuition de femme, apprenait cette pensée.

Elle n’y voulut pas croire d’abord, et en rejeta l’hypothèse avec indignation. Mais ce couple d’amis-là ne vivait-il point en dehors des lois et des règles communes ? Qu’une telle confidence fût de la forfaiture, elle l’affirmait : mais cette affirmation ne la rassurait pas.

Elle se vit trahie par l’un, chassée par l’autre, insultée par tous deux. Le danger inconnu l’avait terrorisée ; le danger précis n’était plus qu’une menace devant laquelle sa nature hautaine, peu à peu, commençait à se relever pour la défense, comme un tigre qui se réveille et regarde ses ongles. L’idée qu’on allait la bafouer publiquement, la traîner dans sa honte, sans qu’elle pût rien dire, la fustigea et la mit debout. Elle voyait les regards, elle entendait les mots, et, comme elle eût été sans pitié pour les autres ; elle ne pouvait imaginer les autres que sans pitié pour elle.