ils ouvraient puis fermaient un journal pour contempler les arbres, les poteaux et la sarabande des fils.
Il pensa : « La banalité de la vie est immense. »
Puis il médita longuement.
La nuit était venue, grise et sans lune ; la flamme courte du quinquet sautillait dans son bol de verre, et jetait de petites lueurs jaunes sur des coins de faces endormies.
Les terres filaient en bandes noires.
Un express siffla, gronda et disparut.
L’aspect de la nature n’était plus le même ; les arbres qui passaient ne ressemblaient plus aux arbres déjà passés.
— Triste chose ! Voilà quelques heures à peine que je roule, et cette infime distance est si grande pour la terre, que la terre se modifie déjà ; quelques heures encore, et tout serait changé, l’air, les plantes et les races de vivants ; encore quelques heures et j’aurai d’autres étoiles sur la tête ; un jour de plus, et je serais sur l’autre face du monde, les pieds à l’envers : quelques pas encore, je me rendormirais à mon point de départ…
Maintenant, deux vers revenaient à sa mémoire, rythmés par la chanson des essieux :
Ah, que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Il dit : « La vapeur a dépoétisé le globe : tout nous ennuie, puisque tout est possible, et rien ne nous appelle, puisque tout est proche. »