Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/29

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Un train passa.

— Pleines d’hommes, toutes ces boîtes ! Où vont-ils, en sens inverse du point où je vais ? Pourquoi vont-ils ? Ces êtres s’imaginent qu’ils ont un but, et se donnent un rôle. Comment y a-t-il assez d’affaires, pour que toutes ces têtes soient bourrelées d’un souci d’affaires ? Pourtant, leur existence est creuse comme une calebasse. Après s’être agités toute leur vie, combien pourraient dire en mourant, qu’ils ont fait quelque chose ? Mais ils vont : il faut qu’ils aillent. Imbéciles !

Il conclut : « La banalité de la vie est immense. »

Décidément, il s’ennuyait.

— Et moi, pourquoi vais-je ? Imbécile, je le suis comme un autre.

Le refrain choisi tantôt chantait toujours à ses oreilles ; la flamme du quinquet se mirait dans la glace.

— Et quand j’aurai fini, qu’aurai-je fait ?

Alors, il songea à sa vie, celle d’hier et celle de demain.

Desreynes atteignait trente ans.

Il possédait une large aisance, n’avait ni parents, ni alliés, vivait seul, mangeait ses rentes, ne jouait pas, aimait les arts, et cultivait les femmes.

Au physique, c’était un beau garçon, correct, mais portant dans le regard une malice qui intriguait les épouses et mettait les époux sur la réserve. Il avait de l’esprit et de la présence d’esprit. Le monde de la finance et du farniente, où la vie le jeta d’abord, ne