Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/314

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ments, les douceurs veules ! Un homme a volé un homme. La passion crie.

— Il savait bien que je l’aimais, que je l’adore, que je ne peux pas vivre sans elle ! Dire qu’il me l’a prise !

…Prise, enlevée pour ma vie, comme une fille, là, dans ma maison, chez moi, sous mes yeux ! Lâche !

Il crispait ses doigts vers ses tempes.

— Misère ! Dire qu’il me l’a prise ! Et moi, je l’accueillais, je le choyais ! C’est lui qui a fait cela ! Lui que pendant quinze années j’ai chéri comme mon enfant ! Il était mon fils ! Il m’appelait sa conscience ! Ah, du propre ! Sa conscience ! Traître, assassin !… Car, c’est vrai, c’est vrai, il me l’a prise !

…Comme cela, pour un caprice, pour jouer, pour l’avoir ! Une de plus ! Il savait bien qu’il me tuait ! Mais l’égoïsme de ce monsieur demandait cette femme, et on me l’a volée ! Combien lui en faut-il ? Et ils ont monté là !

De son bras tendu il montrait la couche : les couvertures descendaient à longs plis calmes ; la masse du lit se perdait sous une ombre blonde, dans la placidité des choses où se garde le secret des événements accomplis.

Il se leva, les poings fermés, pour se ruer sur ce mystère inerte, maudit, mais il retomba en pressant ses pouces sur ses yeux.

— Moi, je n’avais qu’elle au monde, moi !

Alors il pensa à Jeanne, à elle seule, à l’absente de