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Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/356

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Il alla dîner seul, dans une auberge.

Elle et lui !

Elle restait bien perdue, et tout restait fermé.

Il l’aimait pourtant malgré tout : avec son âme impuissante d’oubli, avec sa chair hantée, il l’adorait.

Alors, dans cette fièvre de jalousie qui cherchait en elle ou autour d’elle ce qui pourrait l’exacerber, il fut pris pour la première fois du désir cruel et presque infâme, — si notre âme était blâmable de ce qu’elle éprouve, — du désir bourrelant de savoir, d’apprendre, d’entendre ce qui s’était fait, comment, pourquoi elle s’était donnée… ce serait parler d’elle, au moins !

— Assez, assez !

Il rentra enfin à l’hôtel.

Il vit Georges. Il l’envia d’avoir été aimé par elle ; non plus la jalousie, l’envie ! Et parce que cet homme l’avait possédée le dernier, il semblait qu’elle fût encore à lui.

Desreynes avait couru par la ville, halluciné d’un malheur. Lorsqu’il aperçut Pierre qui revenait, il lui en fut reconnaissant.

Arsemar ne prononça pas une parole ; il fit effort pour mettre sa main dans celle qu’on lui tendait, et froidement, et presque avec répugnance.

Georges, le voyant sombre, proposa, pour le distraire, d’aller entendre un opéra que l’on donnait au Goldoni. Pierre sut se contraindre à accepter, espérant que la musique adoucirait un peu l’aigreur de ses