Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/362

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— Sans remède.

— Tu vois bien que je dois te quitter. J’irai n’importe où, au hasard ; je t’aimerai de loin ; je ne penserai qu’à toi, qui seul aussi t’en iras par le monde, traînant le chagrin d’une faute dont le remords me tue.

— Georges…

— Ah ! s’écria-t-il, sincère enfin, tu me brises, mon Pierre ! Tu l’ordonnes donc, que je te laisse en proie à tes abominables rêves ?… Mais je veux te guérir ! Est-ce qu’une femme vaut que tu meures ? Est-ce que toutes ensemble valent un coin de ta bonté ? Est-ce que je peux, moi, t’abandonner là dans ton enfer, et ne pas te suivre, quand tu n’as plus que ton ami sur terre pour te veiller et pour t’aimer ?

Arsemar le contemplait d’un œil craintif et doux.

— Ne me chasse plus ! C’est moi qui suis là, moi que tu nommais ton frère, moi qui veux l’être encore…

Arsemar, dans une émotion muette, s’écartait de son ami par crainte de céder : son cœur le poussait vers lui, mais il résistait, comme s’il eût dû perdre encore la très chère en perdant sa pâture de douleur.

Ils restèrent en silence. À la fin, Pierre cacha son front dans ses deux mains.

— Console-moi, dis… Trouve quelque chose, console-moi !


— Le saurais-je, ici ?… Viens, sauvons-nous !

— Mais je ne peux pas…

— Il le faut. Tu le dois, pour nous deux, si tu as pitié de ton Georges et de toi-même.