Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/48

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qu’on ne retrouve plus rien des mille choses que l’on avait à dire, se réfugie au milieu des banalités de la vie. Puis la sécurité vient, l’âme se classe…

La plaine qu’ils traversaient, vaste et ronde, semblait endormie dans son cirque de collines, sous la bénédiction du matin.

La route, effleurée de lumière tiède, était comme une chair blonde ; de fins brouillards traînaient sur les champs éloignés, et promenaient, en avant de la lisière des bois, leurs voiles flottants et d’une pâleur dorée. Aucune violence, aucune tache : le printemps avait fait les couleurs, et l’aurore les avait fondues. Sons et lumières, le monde vibrait dans une délicieuse union, et tous les sens étaient pénétrés à la fois de cette immense sympathie de la terre et du ciel. Tout disait : amour. Non pas encore l’amour brûlant et fécond de l’été, mais le chaste sourire des fiançailles.

Nul cri ; à peine quelques chants d’oiseaux, venus on ne sait d’où, quelques grincements des premiers grillons perdus sous les fougères, et pas un bruit de l’homme ; mais ce vague silence et cette invisibilité des êtres ne donnaient point l’anxiété des solitudes et, bien qu’une tourbe ne s’y agitât pas comme dans la ménagerie des cités, on se sentait là au cœur de la vie même : une vie saine et reposante, douce plus que forte, et pleine des promesses qui sont le printemps et le matin ; quelque chose comme un enfant qui sommeille.

Desreynes avait la sensation d’une grande paix