Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/60

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exactes avec lesquelles cette femme l’avait accueilli sur le seuil, et qui, confusément, lui semblaient ambiguës : mais ses lassitudes et l’émotion lui avaient brouillé la mémoire.

— Nous verrons, dit-il.

Puis, il quitta sa chambre et s’en fut à la rencontre de ses hôtes.

— Comme tu te fais désirer ! lui cria Pierre du plus loin qu’il le vit. N’as-tu pas faim ? Voilà qu’il est tard. Quelle tenue de gentleman ! Nous vivons ici en campagnards…

Il prit Georges sous le bras et l’emmena à travers les allées.

— Si tu voyais ma femme ! Elle court, elle rit, ce matin : c’est un oiseau de joie.

Ils marchaient sous les arbres que Desreynes avait aperçus de sa fenêtre. Pierre se tournait souvent vers son ami avec un bon sourire de tendresse. Georges était contraint, et s’efforçait de n’en rien laisser voir : contrainte nouvelle. Il cheminait à côté d’Arsemar, la tête baissée. Il songeait à la sotte injustice du monde, où l’on n’a trouvé qu’un mot grotesque pour désigner celui qui s’est livré sans réserve à l’amour d’une femme, et qu’on trompe. Pauvre et grand Molière, qui a su rire et faire rire de sa propre torture ! Et pauvre Pierre ! Jamais il ne l’avait tant aimé. Une minute, il se sentit fier de cette jeunesse d’attachement, de cette sincérité d’impressions dont il regrettait tantôt la perte déjà lointaine, et qu’un peu de