Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/82

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comme je vous ai plu, voilà tout ; c’était une… prédestination… d’amitié…

« Vous voyez bien, reprit-elle, que c’est au mieux ; la vie est si banale, mon cher, qu’il faut savoir se réjouir de ce qui lui donne un peu d’étrangeté. Vous avez souffert ? Si j’y croyais, je dirais que c’est grand dommage, mais que je m’amuse infiniment. Quel mal y a-t-il dans cette histoire ? Voici la glace bien rompue. Je ne suis pas une mijaurée qui revendique des respects. Nous connaissant mieux, nous serons ensemble meilleurs camarades, et nous gagnerons bien des jours, puisque nous avons sauté d’un coup le fossé des cérémonies.

Jeanne fut contente de sa tirade.

— Vous voilà rassuré, continua-t-elle. Vraiment, voulez-vous que je vous dise ? Vous aviez moins l’air d’un coupable qui implore son pardon, que d’un timide qui cherche à reculer. Vous vous êtes dit : « J’ai tant de grâce et d’esprit, que cette petite provinciale va s’éprendre de mes charmes, et me faire la cour. » Et comme vous êtes l’ami de monsieur mon époux, vous m’avez conduite un matin dans les bois, pour me supplier de ne pas vous séduire.

Jeanne, sans quitter le bras de Desreynes, s’était arrêtée et croisait ses deux mains. Ployée en deux et serrée contre lui, elle riait et le regardait d’en bas : elle s’abandonnait si fort dans sa gaîté, que le jeune homme sentait à travers sa manche la belle chaleur et le mouvement des seins secoués par le rire.