Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/96

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son ami, avec un regard vainqueur et un subit mouvement de tête qui demandaient l’admiration. Il lançait des « et celle-là, qu’en dis-tu ? » comme s’il en eût été l’auteur. Pierre écoutait, pensif ; l’idée ne lui venait pas de s’émerveiller devant ces notes de son adolescence ; il méditait le paradoxe de Desreynes sur l’intellect du monde et des lycées.

— Tu devrais écrire, Pierre : tu ferais quelque chose.

— Bah ! Le travail et l’art n’ont de mérite que jusqu’à concurrence de l’oubli qu’ils procurent : je n’ai pas besoin de cela, moi !

Ce « moi », il le détacha avec une emphase qui ne lui était pas commune. Arsemar n’avait qu’un orgueil, celui de son bonheur. Il ajouta :

— Vois-tu, écrire, c’est vouloir être un homme. Je ne veux être qu’un heureux.

Il retira le cahier bleu des mains de son ami, et le referma. Il préférait les lettres émues de ces jours déjà lointains, le souvenir de leurs chaudes aspirations de tendresse, et devant les terreurs que lui avait inspirées l’avenir, il jouissait délicieusement de la vie maintenant conquise. Il avait un sourire de douce compassion, à chacune des phrases anciennes si éplorées de solitude, et songeait à Jeanne : Jeanne, la petite épouse tant aimée, qui était là, à quelques pas de lui, dans sa maison, et Pierre contemplait les murs.

Puis ils se remettaient à lire.

Un instant, il entendit des voix qui montaient du jardin, et crut en reconnaître une ; il courut à la fenêtre.