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LA PEUR

voulaient le retenir, et menaçant son matelot de lui casser la tête, s’il mettait le pied dans la barque. Guillou avait pris le large, tout seul, et personne ne le revit plus jamais.

Les deux femmes, à cultiver leurs quatre carrés de patates, n’auraient pas trouvé de quoi manger : elles ouvrirent chez elles, dans la chambre unique, un débit de boissons. Au fond, les deux lits s’encastraient au mur, voilés par des rideaux de serge peinte, et dans la vaste cheminée un feu de bouses brûlait sans cesse. Le mobilier était simple : une vieille table en chêne, une autre plus neuve en bois blanc, trois tabourets et trois chaises, un banc, un tonneau de cidre dans le coin ; sur des rayons de planches, vingt bouteilles exhibaient leurs étiquettes voyantes ; une image de couleur était piquée à la muraille, portrait d’un président barré du cordon rouge ; une frégate peinte en bleu vif pendait du plafond, accrochée à la poutre par la pointe de son grand mât.

La fille opérait là, pendant que la mère allait aux champs.

C’était une virago de vingt-trois ans, au buste large et droit, sans taille, aux fortes