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se croire en pleine réunion publique, à l’heure où quelque dépêche du Champ de bataille tenait les assistants en émoi.

L’heure du dîner arriva. Et c’est là que je vis l’application de ce beau précepte : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’il te fît. » Les privilégiés, c’est-à-dire ceux qui recevaient des douceurs de leur famille, partageaient avec ceux qui n’avaient pour nourriture que du pain noir et de la viande de conserve, encore faisait-on le bouillon avec cette viande. Presque toujours l’offre précédait la demande. J’admirai cet esprit de solidarité, et si quelque chose me consola, ce fut le spectacle de ces hommes, jeunes et vieux, fraternisant et se partageant avec joie tout ce qu’ils possédaient. Plusieurs nous invitèrent à partager leur bouillon, ce que nous acceptâmes de grand cœur, et, bien que le consommé fût fait de viandes peu savoureuses et servi dans des boîtes en fer, nous le trouvâmes délicieux.

Je finissais à peine, quand un officier blond filasse, au nez bien rouge, portant un tas de dossiers sous le bras, appela « la femme Hardouin ». Je me levai. Il lut à haute voix ma peu méritée accusation de bravoure.

Cette nomenclature de mes forfaits épuisée, le soldat greffier m’envoya cette galante apostrophe :

« — En voilà du propre, en voilà des exploits ! À bientôt pour la Nouvelle-Calédonie ! »

Puis il procéda de même pour quatre de mes compagnes, sauf pourtant la conclusion. Quant à la cinquième, qui n’avait aucun dossier, il