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nora l’énigmatique

as été villageoise, pauvre, en service… Ça te rapproche de moi.

Tout de même, tu n’en es pas restée là. Tu as connu déjà, une vie bien remplie. Tu as frayé avec des gens d’une sphère si supérieure, dans le domaine de l’esprit.

Moi, tu le sais, ce n’est que par de vaines aspirations que je me suis élevé au-dessus d’une condition, humble, à cause de la grande tragédie de ma famille. J’aurais pu être tout autre chose : en somme, nous étions d’un milieu bourgeois où j’aurais pu m’attendre à bien davantage… Que te dire de plus ? Je ne sais pas… Il va me falloir réfléchir, mettre de l’ordre dans mes idées.

— Oui, dit Nora. Mais ne t’arrête qu’aux valeurs proprement humaines. Ne te fais pas plus petit que tu ne l’es en réalité. Vois-toi avec mes yeux. Ce que j’aperçois en toi, c’est l’homme aux ressources, sentimentales et intellectuelles, si grandes, mais qui n’ont pu se mettre en œuvre. Tu dormais : la guerre t’a indiqué ta voie. Mûri à la suite de cette grande aventure, tu ne flotteras plus au gré des vents comme autrefois. Tu es devenu homme, vraiment. Prends conscience de toi-même et tu verras qu’il n’y a pas de fossé entre nous.

Ils avaient repris leur promenade dans le parc baigné d’une clarté lunaire. Édouard se laissait pénétrer par ces paroles qui correspondaient à des pensées jusque-là informes en lui. C’était comme un mur qui s’abattait, le mur de l’impasse où il avait cru que s’était engagé le chemin de son existence.