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les demi-civilisés

— Alors… vous en êtes bien sûr… c’est mal d’avoir des idées ?

— Jeune homme, les idées suivent la loi de l’offre et de la demande. Est-ce qu’on vous les a demandées, vos idées ? Non ?… Alors, gardez-les ! Préparez-leur d’abord un marché, c’est toujours ce qu’il faut faire pour « ouvrir un territoire » à une nouvelle marchandise… Au reste, vous exprimez des pensées trop claires, trop simples, trop élémentaires, pour être compris et suivi. La foule n’aime vraiment que l’incroyable et ne comprend bien que l’absurde. Il est des absurdités qui ont vécu des milliers d’années et qui prendront autant de temps à mourir. Devenez absurde vous-mêmes, et on vous vénérera comme un totem d’Esquimau. Vous avez un si beau talent, mon ami. Pourquoi ne pas le mettre, comme le mien, au service d’une grande cause ?

— Quelle cause ?

— La cause de l’erreur populaire.

— Je ne m’attendais pas à trouver chez vous tant de cruelle ironie.

Je m’éloignai sous le coup d’une profonde humiliation et traversai toute la ville, songeant, maugréant, rongeant les freins.

Chemin faisant, je traversai un parc plein de fleurs que je ne vis pas, de parfums que je ne sentis pas, de chants d’oiseaux que je n’entendis pas, de jolies passantes que je ne désirai pas, car j’étais tout entier à ma désillusion. La nature me paraissait maintenant moins