Page:Harvey - Marcel Faure, roman, 1922.djvu/113

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marchaient entre une double rangée de peupliers. « Tu me demandes, disait Faure, continuant une conversation, comment une âme d’artiste peut se complaire au terre à terre de la vie industrielle. Il est vrai que j’y ai éprouvé du dégoût et de l’amertume ; mais si tu savais combien de joie procure une conception matérialisée et un idéal accompli ! Il fait bon sentir palpiter dans sa main l’avenir d’un pays. Chaque année, nous vendons pour quinze millions de produits. Avant la fondation de notre industrie, où allaient ces millions ?

« Ceux qui, naguère, composaient l’organisation de vente de nos puissants voisins étaient des compatriotes. Pendant plus de vingt ans, ils avaient été dressés à l’humiliante besogne d’exécuteurs de l’exil de nos capitaux. Je n’ai eu qu’un mot à leur dire pour les conquérir. Je reprenais du coup les places perdues. Une lutte sans merci commença. Tu connais la phrase sacramentelle de l’âme saxonne : « What we have we hold ! » — Ce que nous avons, nous ne le lâchons pas — c’est-à-dire, nous ne lâchons pas la proie parce que nous avons une gueule de bouledogue et que le sang qui dégoutte de nos babines féroces provient de la blessure où s’enfonce des crocs tenaces comme des pièges à ours.