Page:Harvey - Marcel Faure, roman, 1922.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sons-les se rendre fous à contempler ses orbites vides et à se faire étreindre par ses muscles séchés ; j’aime les prunelles bleues comme le ciel ou noires comme du jais, les cheveux qui ont la senteur des têtes saines, les lèvres où luit du sang rouge…

— Bravo ! s’écria Félix. Il y a du Musset dans ta caboche. Prends ton luth et me donne un baiser ! La muse et moi n’avons jamais frayé ensemble ; j’ai gardé le relent des étables paternelles et j’ai hérité quelque chose de l’éleveur de renom que fut l’auteur de mes jours. Aussi, je favorise la sélection des sujets de la race humaine, à la mode de la ségrégation dans les troupeaux de bêtes. Je me rappelle les bœufs puissants de la ferme de chez nous : ils étaient de solides gaillards comme nous trois, et leurs flancs frémissaient à la seule songerie de leurs fêtes champêtres. Les laitières étaient belles, grasses et complaisantes, tendres comme les herbes du printemps dont l’arôme leur montait aux narines en bouffées ardentes. Ces sujets gais et spirituels, aux veines gonflées, au pis allongé et souple, ces bœufs fiers de leur force et de leur poil soyeux, mon père les devait à la divine, à la nécessaire sélection. Au rancart les bêtes vieillies, dégénérées, difformes, incompatibles avec la