Page:Hatin - Histoire du journal en France.djvu/117

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qu’un accès passager ; qui raffolez de la liberté, comme des modes du jour ; qui n’avez ni lumières, ni plan, ni principes ; qui préférez l’adroit flagorneur au conseiller sévère ; qui méconnaissez vos défenseurs ; qui vous abandonnez à la foi du premier venu ; qui vous livrez à vos ennemis sur leur parole ; qui pardonnez aux perfides et aux traîtres, au premier signe de contrition ; qui, dans vos projets ou vos vengeances, suivez sans cesse l’impulsion du moment ; qui êtes toujours prêts à donner un coup de collier ; qui paraissez incapables d’aucun effort soutenu ; qui allez au bien par vanité, et que la nature eût formés pour les hautes entreprises, si elle vous eût inspiré l’amour de la gloire, si elle vous eût donné de la judiciaire et de la constance, faudra-t-il donc toujours vous traiter comme de vieux enfants ?

» Les leçons de la sagesse et les vues de la prudence ne sont plus faites pour vous. Des légions de folliculaires faméliques vous ont blasés à force de sottises et d’atrocités ; les bonnes choses glissent sur vous sans effet. Déjà vous ne prenez plaisir qu’aux conseils outrés, aux traits déchirants, aux invectives grossières ; déjà les termes les plus forts vous paraissent sans énergie, et bientôt vous n’ouvrirez l’oreille qu’aux cris d’alarme, de meurtre et de trahison. Tant de fois agités pour des riens, comment fixer votre attention, comment vous tenir en garde contre toute surprise, comment vous tenir continuellement éveillés ? Un seul moyen me reste ; c’est de suivre vos goûts et de varier mon ton. Ô Parisiens, quelque bizarre que ce rôle paraisse aux yeux du sage, votre ancien ami ne dédaignera pas de le prendre, il n’est occupé que du soin de votre salut ; pour vous empêcher de retomber dans l’abîme, il n’est point d’efforts qu’il ne fasse ; et toujours le Junius français sera votre incorruptible défenseur, votre défenseur intrépide. »

(Le Junius français, par Marat, 1790, no 1er, Adresse aux Parisiens.)