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poste, et deffait le party contraire, lors qu’ils en revenoient après en avoir esté chassés eux mesmes et battus dos et ventres en enfans de bonne maison.

Ce desordre obligea dame Histoire à se servir d’une personne interposée qui ne fût ny suspecte ny taxée de Flatterie, et choisit pour cet effet certain Courrier inconnu, qui se nomma François, mais il ne se devoit nommer que Parisien, d’autant que ses courses ne s’estendoient point hors des portes de cette ville ; elle instruisit cet homme de toutes les manigances qu’il falloit pratiquer, comme il falloit adoucir et couler les mauvaises nouvelles, exagerer les avantageuses, asseurer les douteuses délicatement, si bien que l’on ne s’en peut dedire sans contradiction, et faire en sorte de se faire bien venir des puissances, agréer du peuple, et n’attirer sur soy la haine ny la malediction de personne ; après ces instructions il prit la place de Gazette, et sceut si bien encherir par dessus son stile, que dès sa première arrivée, qui fut de son logis chez l’imprimeur, on cria Vivat, adieu Gazette et courre le Courrier.

Je m’imaginois au commencement que c’estoit un piqueur de chevaux qui fût toujours en selle et le foüet à la main, qu’il eust les fesses endurcies comme un postillon, qu’il courût incessamment la poste, la botte tirée jusques au pommeau de la selle, et qui fit des cinquante lieuës par jour sans s’arrester jamais deux heures en une place ; mais la première rencontre que j’en fis chez l’imprimeur me détrompa de cette créance, et me le fit connoistre pour un piqueur d’escabelle qui ne levoit que rarement le cul de dessus, si ce n’est qu’il eust affaire au Palais ou à l’Hostel de ville.

N’estoit-ce pas un homme fort propre à cette profession ? N’estoit-il pas bien nommé Courrier françois ? et donnant dans Paris des nouvelles seulement de Paris, avoit-il pas bonne raison d’adjouster à son titre ces mots, apportant toutes sortes de nouvelles ? puisque celles dont il nous faisoit part estoient le plus souvent si vieilles et rebattuës ; que dis-je les enfans en alloient à la moutarde.