Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 1.djvu/305

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point demordre, elle luy conseilla de luy laisser encore faire une de ses corvées. Il fallut passer par là malgré son impatient desir d’en desgoiser après un si long et si penible silence ; mais comme le drosle vouloit encore continuer ses courses, elle le fit arrester et prendre au collet dans le temps qu’il alloit chez l’imprimeur, et le fit conduire au palais de sa maistresse, comme rebelle à ses ordonnances et ses priviléges ; il deffendit sa cause le mieux qu’il luy fut possible, alleguant pour ses raisons qu’une fame n’estoit pas capable de cet employ, et que c’estoit une indignité de laisser un si sage gouvernement en gynocratie. Je vous laisse à penser si, parlant en présence d’une fame qui estoit le juge de ce different, ses deffenses pouvoient estre bien receuës ; il fut donc condamné haut et court à faire vidi aquam, tenu de prendre Mademoiselle Gazette par la main, et la remestre en sa place qu’il vouloit usurper avec injustice.

Cela se fit en pompe et ceremonie ; la Donzelle parut avec plus d’esclat que jamais, et eut un si riche équipage qu’il est besoin d’en dire les particularitez.

Premièrement sa taille estoit fort avantageuse, affin de pouvoir descouvrir partout, et d’avoir toujours le nez au vent ; elle estoit laide comme un cu, mais sa compagne Flatterie luy avoit mis un masque qui la faisoit paroistre belle comme le jour ; sa coiffure à la mode enrichie de galons de toutes sortes de couleurs, mais je trouvay fort estrange qu’elle faisoit comme vanité de monstrer de grandes vilaines aureilles dans les trous desquelles elle avoit fiché les bouts de quantité de petits entonnoirs d’argent, dont chacun portoit gravé le nom de quelque province ; elle avoit à la droite une plume fort bien taillée à la mode des procureurs, et l’escritoire pendüe à la ceinture de sa robbe en façon de monstre ou de drageoir ; son collet estoit de point de Gennes, sa chemise de toille de Hollande, ses manchettes de Flandre, et sa robbe à l’Italienne, de taffetas changeant, parsemée de langues et d’aureilles en broderie ; elle avoit autour d’elle autant de miroirs qu’une revendeuse, dans lesquels, de quelque costé qu’elle se tournast, on pouvoit remarquer tout ce qui se passoit aux environs, mais les objets y paroissoient plus beaux qu’ils n’estoient, et les glaces