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Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/334

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une chaleur qui fera sourire quelques lecteurs ; mais si le rédacteur de l’Année littéraire est demeuré l’expression la plus éclatante, la plus persistante, de la longue lutte que soutint le journalisme contre l’esprit du xviiie siècle, il n’en fut pas l’unique expression : on ne peut oublier, par exemple, qu’il eut pour prédécesseur et pour maître l’abbé Desfontaines ; si le nom de celui-ci a été quelque peu étouffé par l’immense retentissement qu’eut celui de son élève, il n’en doit pas moins être regardé comme le créateur de la critique polémique, et, quelques torts qu’on lui puisse reprocher, les services qu’il a rendus à la cause des lettres lui assurent une place importante dans l’histoire du journalisme[1].

  1. J’ai mentionné tout à l’heure Delisle de Sales, et peut-être aurai-je encore occasion de le citer. Parmi les nombreux écrits de ce singe de Diderot, comme l’avaient surnommé les contemporains, se trouve un Essai sur le Journalisme depuis 1735 jusqu’à l’an 1800 (Paris, 1811, 1 vol. in-8), avec cette épigraphe, prise de Juvénal :

    Dat veniam corvis, vexat censura columbas.

    Ce titre est bien fait pour affriander les curieux, et il devait naturellement appeler mon attention ; mais il ne couvre qu’un insipide radotage à propos de la presse périodique, que l’auteur détestait cordialement, comme presque tous les philosophes, une haineuse diatribe, dont on jugera par quelques citations. Pour Delisle de Sales, « le journalisme n’est pas issu du Journal des Savants, dont sa soif de nuire et son goût hétérodoxe le rendaient nécessairement l’antipode ; c’est dans la lie du xviiie siècle qu’il faut chercher l’époque tristement mémorable où s’établit la séparation entre ce qu’il serait tenté d’appeler les journaux à ambroisie et les journaux à venin. » — Il définit le journalisme : « Le besoin de déraisonner réuni au besoin de nuire » ; — c’est « une secte anti-littéraire, secte audacieusement abjecte, dont l’existence publique est un délit et le nom une injure, qui n’existe que par le vice et ne se soutient que par le ridicule. » Il ne voit dans la critique que « l’antipathie des gens qui vivent de feuilles contre ceux qui vivent de renommée. » Les journalistes sont des gens qui, « n’ayant souvent aucune existence, ni politique ni littéraire, sont possédés de la manie du détrônement,