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Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/380

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de ses ennemis. « À la mort de l’abbé Desfontaines, dit La Harpe[1], Fréron se porta pour son successeur, et débuta, vers l’an 1748, avec beaucoup de succès. Les ouvrages périodiques, si multipliés depuis, étaient alors assez rares en France : il n’y avait guère que le Mercure et le Journal des Savants. Le Mercure était en possession de louer tout, et le Journal des Savants n’était fait, comme il l’est encore, que pour très-peu de lecteurs. Un ouvrage de pure critique devait donc être fort goûté ; il fournit des jugements l’ignorance, des armes à la malignité et à l’envie, des consolations à la médiocrité. Dans les provinces surtout, les bourgeois qui lisent sont fort aises que quelqu’un se charge de leur indiquer quelles nouveautés il faut faire venir de la capitale et ce qu’il en faut penser. Les tragédies de Marmontel furent la première pâture dont s’engraissa Fréron. Le hasard a fait tomber en mes mains quelques-unes des feuilles de ce temps-là : elles sont un peu différentes de celles qu’il a faites depuis ; le ton est moins indécent et moins grossier ; il y a plus de discussion et moins d’injures. La critique de détail avait beau

  1. La Harpe fait précéder cette appréciation du « rôle qu’a joué pendant trente ans dans la littérature cet homme si malheureusement célèbre, ce journaliste qui a été de tout temps le plus furieux de ses ennemis », de protestations d’impartialité qu’on n’est pas obligé de prendre à la lettre. « Je me crois capable de le juger sans partialité, dit-il, parce que je n’ai jamais cru que nous eussions rien à nous disputer. J’écarterai les satires, qui ne sont des arguments que pour la haine, et franchement je méprise assez l’écrivain pour ne pas haïr l’homme. » (Correspondance littéraire, lettre 43.)