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Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/392

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Mais aucune de ces satires, aucun de ces pamphlets, n’eut autant de retentissement que l’Écossaise, comédie soi-disant traduite de l’anglais, dont Voltaire inonda Paris au commencement de 1760. Dans cette pièce, Fréron, sous le nom de Frélon, joue le rôle infâme d’espion et de dénonciateur politique ; il y est traité de fripon, de crapaud, de lézard, de couleuvre, d’araignée, de vipère, de faquin, de lâche coquin, de dogue[1], etc., etc., etc.

Fréron, feignant de prendre cette pièce au sérieux, en rend compte dans le plus grand détail, et avec plus de modération encore que d’habitude. Il en signale habilement les défauts ; mais il nie qu’elle soit traduite du théâtre anglais de M. Hume, sous le nom duquel elle était publiée, et ne croit pas davantage qu’elle soit de Voltaire.


Quelle apparence, en effet, qu’une aussi médiocre production soit sortie d’une si belle plume ?… Il m’est revenu, ajoute-t-il plus loin, que quelques petits écrivailleurs prétendaient que c’était moi qu’on avait voulu désigner sous le nom de Frélon : à la bonne heure, qu’ils le croient ou qu’ils feignent de le croire, et qu’ils

  1. « Voltaire, raconte Delisle de Sales, avait, pour la garde de son château de Ferney, un dogue d’une haute stature, toujours le poil hérissé, toujours aboyant contre son ombre, et, par une de ces espiègleries qu’il serait infiniment téméraire de confondre avec la méchanceté, il lui avait donné le nom de Fréron… L’illustre vieillard parut étrangement surpris qu’un écrivain qui avait fait la Philosophie de la Nature (Delisle de Sales, « qui avait été appelé à faire un assez long séjour dans cette espèce de terre promise de la littérature ») eût pu apprivoiser un animal à tête parlante ou aboyante tel que Jean Fréron. » Disons en passant que Fréron s’appelait Élie Gatherin, et non Jean, comme les encyclopédistes, et Voltaire le premier, affectaient de l’appeler, soit pour la commodité de la versification, soit, comme le prétendent quelques-uns, à cause de la grossière équivoque à laquelle prêtaient les initiales du nom ainsi accommodé, J… F…