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que je vois ou que j’entends, et c’est de ce tour d’imagination, ou, pour mieux dire, de ce qu’il produit, que je voudrais que les hommes nous rendissent compte quand les objets les frappent.

Peut-être, dira-t-on, ce qu’ils imagineraient alors nous ennuierait-il ? Et moi, je n’en crois rien. Serait-ce qu’il y aurait moins d’esprit, moins de délicatesse ou moins de force dans les idées de ce genre ? Point du tout ; il y régnerait seulement une autre sorte d’esprit, de délicatesse et de force, et cette autre sorte-là vaudrait bien celle qui naît du travail et de l’attention…

Oui, je préférerais toutes les idées fortuites que le hasard nous donne à celles que la recherche la plus ingénieuse pourrait nous fournir dans le travail.

Enfin, c’est ainsi que je pense, et j’ai toujours agi conséquemment. Je suis né de manière que tout me devient une matière de réflexion ; c’est comme une philosophie de tempérament que j’ai reçue, et que le moindre objet met en exercice.

Je ne destine aucun caractère à mes idées ; c’est le hasard qui leur donne le ton. De là vient qu’une bagatelle me jette quelquefois dans le sérieux, pendant que l’objet le plus grave me fait rire ; et quand j’examine, après, le parti que mon imagination a pris, je vois souvent qu’elle ne s’est point trompée.

Quoi qu’il en soit, je souhaite que mes réflexions puissent être utiles. Peut-être le seront-elles, et ce n’est que dans cette vue que je les donne, et non pour éprouver si l’on me trouvera de l’esprit. Si j’en ai, je crois, en vérité, que personne ne le sait, car je n’ai jamais pris la peine de soutenir une conversation, ni de défendre mes opinions, et cela par une paresse insurmontable. D’ailleurs, mon âge avancé, mes voyages, la longue habitude de ne vivre que pour voir et pour entendre, et l’expérience que j’ai acquise, ont émoussé mon amour-propre sur mille petits plaisirs de vanité qui peuvent amuser les autres hommes : de sorte que, si mes amis venaient me dire que je passe pour un bel esprit, je ne sens pas, en vérité, que je fusse plus content de moi-même ; mais si je voyais que quelqu’un eût fait quelque profit en lisant mes réflexions, se fût corrigé d’un défaut, oh ! cela me toucherait, et ce plaisir-là serait encore de ma compétence.