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bien plus d’humiliations que d’applaudissements. Forcé de choisir une profession, il prit celle d’avocat, mais non sans répugnance. « Je n’ai jamais estimé le métier d’avocat, ajoute-t-il, et je vais le faire. C’est qu’il faut être quelque chose dans la vie ; c’est qu’il y faut gagner de l’argent, et qu’il vaudrait mieux être cuisinier riche que savant pauvre et inconnu… » Voilà tout l’homme.

Ses débuts firent du bruit, et quelques affaires brillantes qui eurent un grand retentissement portèrent à un très-haut degré son talent et sa réputation d’avocat. Enivré par ses succès, il garda bientôt si peu de ménagements, dans ses plaidoiries et dans ses mémoires, envers ses confrères et même envers les magistrats, qu’il fut rayé du tableau[1]. Sa robe ne tenait à rien, a-t-il écrit quelque part, mais il n’en garda pas moins une vive animosité contre le barreau.

L’amour-propre de Linguet avait déjà reçu, peu de temps auparavant, un affront qui avait dû profondément blesser ce caractère naturellement si irritable. Il paraîtrait qu’arrivé à l’apogée de la fortune, il avait cru pouvoir aspirer au fauteuil académique. Son jeune frère alla sonder d’Alembert, qui était alors le dispensateur suprême des brevets d’immortalité. Il fut éconduit, sous prétexte que

  1. Telle était déjà la célébrité attachée au nom de Linguet qu’on fit, à l’occasion de sa radiation, des étoffes et des bonnets à la Linguet : c’étaient des étoffes et des bonnets rayés.