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même plus intéressants pour le bas peuple des lecteurs qu’une critique honnête et sensée ; le ton modéré de la raison n’a rien de consolant pour l’envie, rien de flatteur pour la malignité ; mais mon dessein n’est pas de prostituer ma plume aux envieux et aux méchants… À l’égard de la partie collective de cet ouvrage, quoique je me propose d’y contribuer autant qu’il est en moi, ne fût-ce que pour remplir les vides, je ne compte pour rien ce que je puis ; tout mon espoir est dans la bienveillance et les secours des gens de lettres, et j’ose croire qu’il est fondé. Si quelques-uns des plus estimables n’ont pas dédaigné de confier au Mercure les amusements de leur loisir, souvent même les fruits d’une étude sérieuse, dans le temps que le succès de ce journal n’était qu’à l’avantage d’un seul homme, quels secours ne dois-je pas attendre du concours des talents intéressés à le soutenir ! Le Mercure n’est plus un fonds particulier ; c’est un domaine public dont je ne suis que le cultivateur et l’économe. »

Ainsi s’annonça mon travail : aussi fut-il bien secondé. Le moment était favorable ; une volée de jeunes poètes commençaient à essayer leurs ailes. J’encourageai ce premier essor en publiant les brillants essais de Malfilâtre ; je fis concevoir de lui des espérances qu’il aurait remplies si une mort prématurée ne nous l’avait pas enlevé. Les justes louanges que je donnai au poëme de Jumonville ranimèrent dans le sensible et vertueux Thomas ce grand talent que des critiques inhumaines avait glacé. Je présentai au public les heureuses prémices de la traduction des Géorgiques de Virgile, et j’osai dire que, si ce divin poëme pouvait être traduit en vers français élégants et harmonieux, il le serait par l’abbé Delille. En insérant dans le Mercure une héroïde de Colardeau, je fis sentir combien le style de ce jeune poète approchait, par sa mélodie, sa pureté, sa grâce et sa noblesse, de la perfection des modèles de l’art. Je parlai avantageusement des héroïdes de La Harpe et de l’Hypermnestre de Lemierre.

En plaidant la cause des gens de lettres, je ne laissais pas de mêler à des louanges modérées une critique assez sévère, mais innocente, et du même ton qu’un ami aurait pris avec son ami. C’était avec cet esprit de bienveillance et d’équité que, me con-