Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 3.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le modèle d’une critique saine et douce ; les défauts s’y faisaient sentir et remarquer ; les beautés y étaient exaltées. Le public ne fut pas trompé, et les artistes furent contents.

Je m’étais mis en relation avec toutes les académies du royaume, tant pour les arts que pour les lettres ; et, sans compter leurs productions qu’elles voulaient bien m’envoyer, les seuls programmes de leurs prix étaient intéressants à lire par les vues saines et profondes qu’annonçaient les questions qu’ils donnaient à résoudre, soit en morale, soit en économie politique, soit dans les arts utiles, secourables et salutaires. Je m’étonnais quelquefois moi-même de la lumineuse étendue de ces questions, qui de tous côtés nous venaient du fond des provinces ; rien, selon moi, ne marquait mieux la direction, la tendance, les progrès de l’esprit public.

Ainsi, sans cesser d’être amusant et frivole dans sa partie légère, le Mercure ne laissait pas d’acquérir en utilité de la consistance et du poids. De mon côté, contribuant de mon mieux à le rendre à la fois utile et agréable, j’y glissais souvent de ces contes où j’ai toujours tâché de mêler quelque grain d’une morale intéressante.

Mais comme il ne faut jamais être fier ni oublieux au point d’être méconnaissant, je ne veux pas vous laisser ignorer quelle était au besoin l’une de mes ressources. À Paris, la république des lettres était divisée en plusieurs classes, qui communiquaient peu ensemble. Moi, je n’en négligeais aucune, et des petits vers qui se faisaient dans des sociétés bourgeoises, tout ce qui avait de la gentillesse et du naturel m’était bon… Lorsqu’en rédigeant le Mercure du mois j’avais besoin de quelques jolis vers, j’allais voir mon ami Panard. « Fouillez, me disait-il, dans la boîte à perruque. » Cette boîte était, en effet, un vrai fouillis, où étaient entassés pêle-mêle, et griffonnés sur des chiffons, les vers de ce poète aimable. En voyant presque tous ses manuscrits tachés de vin, je lui en faisais le reproche. « Prenez, prenez, me disait-il : c’est là le cachet du génie. »