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INTRODUCTION

INTRODUCTION

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Admettre avec Fénelon * qu’on peut à volonté restreindre ou étendre le vocabulaire d’une langue, c’est méconnaître les conditions suivant lesquelles se développe le langage humain. L’usage est ici le suprême arbitre ; c’est lui qui donne la vie aux mots de formation nouvelle, qui la retire à ceux qui tombent en désuétude, qui parfois rajeunit des mots vieillis et surannés. Mais il ne faut pas croire que son action s’exerce au hasard et par caprice. Quand Vaugelas dit que l’usage fait beaucoup de choses par raison, beaucoup sans raison, et beaucoup contre raison’^, cela veut dire simplement que la raison ne discerne pas toujours les motifs qui ont déterminé l’usage ; mais ces motifs existent : ce sont les faits complexes et multiples qui constituent la vie des peuples. Les besoins matériels ou intellectuels des hommes, et les idées, les institutions, les mœurs, les coutumes qui y correspondent, contiennent la raison visible ou cachée du mouvement qui fixe ou renouvelle le lexique des langues. Nous avons eu sous les yeux tous les matériaux accumulés par les lexicographes jusqu’à nos jours, et, pour ne parler que des plus récents, l’œuvre de Littré avec son Supplément^ lo, Dictionnaire français-allemaiid àe. Sachs, qui ajoute au Dictionnaire de Littré des milliers de mots populaires, techniques et scientifiques ; diverses études publiées dans lesrevues philologiques, les dictionnaires spéciaux de mathématiques, de physique, de chimie, d’histoire naturelle, de médecine, d’architecture, d’histoire, d’archéologie, d’arts et métiers, etc. ; toutes ces richesses ont passé devant nous, mais nous avons dû faire un choix. Le véritable lexique d’une langue ne se compose que des mots qui ont un emploi déterminé dans la langue écrite ou parlée. Les néologismes que chaque jour voit naître ne pénètrent pas tous dans la circulation. Comme toute langue vivante , le français peut créer et crée sans cesse des termes nouveaux, qui répondent à des besoins généraux ou à des besoins individuels. Les premiers entrent naturellement dans la langue ; des seconds, elle ne garde que ceux qui l’enrichissent de quelque heureuse création.

Il faut distinguer, parmi les néologismes, les mots de formation populaire, produits naturels de la langue vivante, dont la fécondité est inépuisable, et les mots de formation savante, qu’un érudit compose dans son cabinet, d’une manière arbitraire, artificielle. Les premiers nous ont trouvés plus disposés à leur donner place dans le lexique, parce qu’ils étaient marqués de l’empreinte française. Pour la terminologie spéciale des arts et métiers, de la flore et de la faune, qui appartient à la langue populaire, nous avons tâché de n’omettre aucun terme utile. Mais nous n’avions pas à faire entrer dans le Dictionnaire tous les termes employés encore aujourd’hui dans les divers patois sortis du latin populaire des Gaules, et conservés sur tel ou tel point du territoire. Nous avons admis seulement ceux dont l’usage était resté commun à toute une région de la France. Dans les œuvres des auteurs contemporains qui, à l’exemple de ceux du xvi" siècle, accordent une large place aux termes dialectaux, nous n’avons recueilli que les mots qui tendent à pénétrer dans l’usage. Nous ne devions pas oublier que nous composions un dictionnaire de la langue commune. Nous n’avons donc fait exception en faveur d’un terme purement local que lorsqu’il éclairait d’un jour nouveau tel ou tel mot de la langue usuelle. Nous avons pu rectifier un assez grand nombre de mots techniques altérés par des causes diverses. Ici, des termes faussement introduits par une erreur typographique : accolement pour accotement , espace compris entre les fossés d’un chemin et la chaussée ; « ?«cre boueuse, l’ancre de toue, la plus petite des ancres d’un navire, pour ancre toueuse ; calepin, morceau de peau qu’on met sous la balle, dans la carai . Lettre à l’Académie, 3.

2. Vaugelas, Remarques sur la langue française, préface.