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sistible au point d’entraîner et de submerger toutes ses éclatantes incorrections et ses imperfections désordonnées… Et, tant il est vrai que la fantaisie n’est pas incompatible avec la sagesse, Rostand ne s’est point attribué l’originalité dangereuse de créer un nouveau genre théâtral. Il a rétabli, restauré, en les amplifiant, en les magnifiant, le drame lyrique et la comédie romanesque, adorable mélimélodrame farci de littérature et fourré de poésie. Il n’est point un chef d’école. Trop heureux Rostand puisque ses pièces resteront comme les pièces d’apothéose du feu d’artifice romantique ! Trop heureux Rostand puisque ses pièces resteront comme l’expression suprême du romantisme au théâtre mais du romantisme rajeuni par des inspirations, exclusivement françaises — enfin ! Trop heureux Rostand qui n’exercera point sur le théâtre français d’influence précise, mais suscitera peut-être des enthousiasmes et surexcitera peut-être des inspirations ! Trop heureux Rostand qui aura ce privilège tutélaire de n’être déprécié par aucun disciple !

Or, c’est le peuple qui a fait sa gloire fougueuse et qui la maintiendra : en littérature, je l’ai dit, on entend par le peuple l’ensemble des bourgeois petits ou grands. La gloire de Rostand est donc une gloire véritablement populaire, son œuvre aussi. Et certes les courtiers ordinaires de la réputation des écrivains peuvent s’affliger, constatant que cet écrivain échappe totalement à leur onéreuse entremise ; ils peuvent se venger d’abord par en médire, ils peuvent le glorifier ensuite avec dédain, comme le représentant d’une sorte de littérature inférieure et triviale en sa facilité…

L’œuvre de Rostand est facile, mais elle n’est pas vulgaire. Elle fut édifiée allègrement en réaction contre l’art savant et triste des cénacles. Elle n’est pas toujours très profonde, non. Elle est parfois un peu superficielle, oui. Et c’est pourquoi nous l’aimons. Et il nous plaîra toujours de la considérer avec une admiration sympathique et reconnaissante comme une géniale vulgarisation de toutes les qualités expansives de l’esprit français ».

(Le Théâtre des poètes (Ollendorf) pp. 422-424)