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Page:Havet – Le Voyage, paru dans Les Écrits nouveaux, 1919.djvu/3

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J’ai repris la routine des jours, l’oisiveté qui dévore plus que l’amour… Le grand licol de la ville baille autour de mon cou et cependant je n’ai pas su m’enfuir, craignant peut-être la solitude et la rencontre de mon âme que je veux croire perdue ?

Mais, au tournant de la rue, entre deux voitures qui se heurtaient, je l’ai rencontrée, mon âme. Elle sautait devant moi comme une petite fille folle et ses deux mains tremblantes se secouaient dans l’air. Elle avait cependant un tablier rosé… On aurait dit une meurtrière de huit ans. Comme j’allais l’atteindre, un camion m’en a séparée,… dès qu’il fut passé, je bondis, mais hélas je ne trouvai plus, planté dans l’herbe courte des Champs-Élysées, qu’un petit coquelicot maigre et ardent qui battait de la crête comme un petit coq malade.

Alors, je suis passée, prononçant des mots de tristesse vagues et mouvants comme des algues et qui se perdirent dans la rumeur de la ville, s’unissant au cri perpétuel de Paris qui nous enfarine, afin d’en poudrer son ciel clair, nos rêves les plus beaux, nos chairs les plus fines et nos désirs avortés d’univers.

Paris 1918.

Mireille Havet.