Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/355

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veloppement de certaines émotions qui peut-être sans cela n’auraient pas fleuri si tôt. Nous ne sommes même pas bien assurés que Holgrave n’eût pas prémédité de les laisser mourir dans leur germe.

« Et pourquoi tant de retards ? demanda Phœbé. Ce secret m’empêche de respirer !… Ouvrons bien vite les portes !

— Eh, mon Dieu, dit Holgrave, nous ne goûterons peut-être pas, de notre vie tout entière, un moment pareil à celui-ci… Dites-moi, Phœbé, n’enferme-t-il que terreurs ?… N’avez-vous pas conscience, ainsi que moi, d’une joie intime qui fait de ce moment la minute décisive de notre vie, la seule qui lui donne son prix ?

— N’est-ce pas un péché, répondit Phœbé toute tremblante, que parler de joie en un pareil moment ?

— Si vous pouviez savoir, s’écria l’artiste, si vous pouviez savoir où j’en étais quand vous êtes venue !… Quelle heure sombre ! quelle misère glacée !… La présence de ce mort qui est là projetait sur toutes choses une grande ombre noire ; elle transformait pour moi l’univers en un vaste théâtre de crimes, et de châtiments plus effroyables encore que le crime lui-même… Devant ce spectacle, ma jeunesse s’en allait… Je ne pensais pas la voir jamais renaître !… Le monde m’apparaissait bizarre, insensé, méchant, ennemi ; ma vie passée, comme un désert aride et dépeuplé ; mon avenir, comme une masse de ténèbres informes auxquels il fallait conserver des formes ténébreuses… Mais tout à coup, Phœbé franchit le seuil, l’air s’attiédit, l’espoir, le bonheur pénètrent ici avec elle… Pourquoi, maintenant, ne pas vous dire tout ce