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CONTES ÉTRANGES

La veuve Wycherly ne pouvait se détacher du miroir, devant lequel elle faisait des révérences à son image, saluant ainsi la meilleure amie qu’elle eût au monde. Elle passait en revue le détail de ses charmes vainqueurs, s’assurant que c’était bien une admirable chevelure blonde qui s’échappait de sa coiffe trop étroite et foisonnait sur ses épaules ; puis, certaine enfin d’avoir retrouvé l’orgueilleux pouvoir de sa beauté, et heureuse de songer que les autres femmes en crèveraient de jalousie, elle se rapprocha de la table en sautillant comme un oiseau.

— Encore un verre, cher docteur, dit-elle de sa voix harmonieuse et dont le timbre caressait mieux l’oreille que la plus douce musique.

— Les verres sont remplis, chère madame ; buvez tant que cela vous fera plaisir, prenez garde cependant de redevenir un enfant.

— Non, non, docteur, une jeune fille, et je m’arrête là.

VI

Le soleil baissait à l’horizon et la chambre était plongée dans une ombre crépusculaire qui s’obscurcissait par degrés mais une lueur douce et paisible comme celle de la lune, paraissant rayonner du vase, éclairait d’un reflet argenté tous les convives et la vénérable figure du docteur Heidegger, gravement assis dans son fauteuil de chêne, avec son visage impassible, encadré de cheveux blancs qui tombaient sur ses épaules, et la dignité de son attitude en présence de la scène qui se passait sous ses yeux, il sem-