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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

blait l’austère personnification du temps lui-même, dont il venait, de suspendre la marche éternelle.

Cependant les convives avaient saisi leurs coupes remplies pour la troisième fois de la liqueur dont les petites bulles de gaz étaient collées aux parois du verre comme des rangées de diamants, et quand ils les portèrent à leurs lèvres comme un toast à la vie, ils furent presque effrayés de l’expression mystérieuse du visage du docteur, pâle, immobile, silencieux.

Et du même coup, avant même que le sang du cœur violemment comprimé fût chassé par une impulsion nouvelle et rapide dans les artères, une chaleur brûlante courait déjà dans leurs veines gonflées, et ils sentirent au craquement sourd de la machine, que cette fois c’était bien la jeunesse qui envahissait leur être, que c’était bien la vie que leur donnait sa chaude étreinte. L’enivrante liqueur avait accompli l’œuvre commencée. La vieillesse et son cortége morose n’était plus qu’un mauvais rêve interrompu par le joyeux réveil ; l’âge mûr et la raison avaient disparu, ils étaient au printemps de la vie. Créatures nouvelles dans un corps nouveau, ils saluaient leur existence reconquise, contenant à peine les pensées tumultueuses qui bourdonnaient dans leurs jeunes cerveaux, et les désirs impétueux qui grondaient au fond de leur poitrine d’où s’échappa un cri de sauvage bonheur :

— Nous sommes jeunes ! nous sommes jeunes !

C’est un curieux spectacle que ce groupe bruyant et animé de jouvenceaux, ivres jusqu’à la folie. La première idée qui passa par leur tête fut de rire à gorge déployée de leurs infirmités et de leur décrépitude. Ils s’amusaient de