tant qu’il resta confié aux soins de son vieux maître, sa douceur naturelle permit à celui-ci de réprimer son intempérance créatrice au moyen d’une surveillance sévère. Mais, lorsque ayant terminé son apprentissage, il eut pris la suite des affaires de Hovenden, que la faiblesse de sa vue obligeait à se retirer, on vit bientôt combien Owen était peu capable de diriger la course de ce vieillard aveugle que l’on nomme le temps.
Une de ses fantaisies les moins déraisonnables était d’introduire dans ses montres des petits mouvements de musique rendant harmonieuse chaque heure de la vie au moment où elle se précipitait dans l’abîme du passé. Lui confiait-on la réparation de quelque horloge ancienne, de ces hautes et vieilles machines qui font pour ainsi dire partie d’une famille, à force d’avoir sonné la naissance ou la mort de ses membres, il prenait sur lui d’ajouter au mécanisme une danse macabre ou quelque funèbre procession dont chaque personnage représentait une des heures du jour. Plusieurs excentricités de ce genre avaient entièrement fait perdre au jeune horloger la confiance des gens sensés qui pensent qu’on ne doit pas plaisanter avec le temps, soit qu’on le considère comme un moyen d’avancer et de prospérer dans le monde, ou bien comme une occasion de se préparer à entrer dans l’autre. La clientèle d’Owen Warland diminua rapidement, ce qui ne lui sembla pas un grand malheur, car il était de plus en plus absorbé par une œuvre à laquelle, depuis plusieurs mois, il travaillait secrètement, et qui, exigeant l’emploi de tout son talent et de toute son adresse, donnait pleine carrière aux tendances caractéristiques de son génie.