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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/194

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CONTES ÉTRANGES

gré l’instinctive intuition de la femme, s’en était à peine aperçue. Pour Owen, c’était sa vie tout entière qui lui échappait. Il avait bien vite oublié qu’un jour Annie n’avait pu le comprendre ; et, grâce à ce bandeau qui couvre les yeux des amants, il avait, malgré l’évidence, persisté à unir par la pensée ses rêves artistiques à l’image adorée de la jeune fille. C’était la forme visible sous laquelle se manifestait à lui cette puissance mystérieuse dont il avait fait l’objet de son culte.

Il s’était trompé cette fois encore. Annie était bien loin de posséder les perfections morales qu’il s’obstinait à voir en elle. La femme à laquelle il avait élevé dans son cœur un autel était une création de son imagination, comme l’ingénieux mécanisme auquel il travaillait eût été le produit de son génie s’il fût parvenu à l’exécuter. En supposant qu’un amour heureux l’eût rendu maître d’Annie, la désillusion n’eût pas tardé à venir, il n’eût trouvé en elle qu’une femme ordinaire, et, trompé dans son attente, il eût reporté sur le seul but qui fût resté à sa noble ambition, toute son énergie, toutes les forces de son intelligence. Aussi son lot eût été trop riche s’il eût trouvé dans Annie l’idée de ses rêves de poëte et d’artiste, et peut-être, dans ce cas, l’idée qu’il se faisait du beau idéal se fût-elle accrue car cette idée du beau est relative et non point absolue.

Au lieu de cet avenir de félicité, ce fut la douleur qui vint à l’improviste, avec cette intolérable idée que l’ange de sa vie lui était arraché pour être jeté dans les bras d’un grossier forgeron. C’était le comble de la mauvaise fortune. La vie ne lui apparaissait plus que comme sans espoir, une