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CONTES ÉTRANGES

famille et ayant pris un peu de la forte et grossière nature de son époux, mais digne encore — ainsi le pensait Owen — de servir d’intermédiaire entre la force et la beauté. Ce soir-là justement, le vieux Pierre Hovenden était l’hôte du jeune ménage, et le regard de l’artiste rencontra tout d’abord ce visage froidement sarcastique, dont il ne connaissait que trop l’expression.

— Eh ! c’est mon vieil ami Owen, s’écria Robert en s’élançant au-devant de lui et serrant ses doigts délicats comme il eût fait d’une barre de fer. C’est bien à vous, et d’un bon voisin de nous rendre enfin visite. Je craignais que le mouvement perpétuel ne vous eût fait oublier notre ancienne amitié.

— Nous sommes bien heureux de vous voir, dit à son tour Annie en rougissant légèrement. Ce n’est pas bien d’être resté si longtemps éloigné de nous.

— Eh bien, Owen, demanda le vieil horloger en façon de bienvenue, comment va le beau ? Êtes-vous parvenu à le créer ?

L’artiste ne répondit pas d’abord, il considérait un robuste bambin en train de se rouler sur le tapis, lui aussi sorti de l’infini, mais si solidement constitué qu’on voyait bien que la nature l’avait formé de ses éléments les plus puissants. Le baby rampa jusqu’auprès du nouveau venu, et, s’arc-boutant sur ses deux petits bras, leva la tête et se prit à regarder Owen avec cette persistance particulière aux enfants. La mère, qui suivait avec intérêt ce petit manège, ne put s’empêcher d’échanger avec son mari un sourire d’orgueilleuse satisfaction. Mais Owen se sentait troublé par le regard investigateur du marmot, qui lui rappelait celui