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LES CAPRICES DU SORT

vieux négociant, nous ne connaissons pas ce jeune homme.

— Cet air ouvert, reprit sa femme toujours à voix basse, ce sommeil si paisible…

Tandis qu’auprès de lui s’échangeaient des chuchotements, le cœur de David n’accélérait point ses battements, sa respiration restait égale et douce et sa physionomie ne trahissait aucune émotion ; et cependant, penchée vers le dormeur, la Fortune entr’ouvrait la main pour laisser tomber sur lui ses précieuses faveurs. Le vieux négociant avait perdu son fils unique, et n’avait plus d’autre héritier qu’un parent éloigné, dont il n’avait pas sujet d’être satisfait. Dans une pareille occurrence, les gens riches font souvent des choses moins raisonnables que de prendre un moment la place du Destin et de dire à un jeune homme endormi dans la pauvreté : « Réveille-toi dans l’opulence. »

— Voulez-vous que je l’éveille ? répéta la dame d’une voix tendrement persuasive.

— La voiture attend monsieur, dit le domestique en s’avançant.

Les vieux époux tressaillirent, rougirent et s’éloignèrent à la hâte, s’étonnant en eux-mêmes d’avoir été sur le point de faire une action si ridicule. Le vieux négociant se plongea dans le fond de sa berline et se mit, chemin faisant, à rêver au plan d’un asile modèle pour les commerçants ruinés. Durant ce temps, David continuait tranquillement sa sieste.

La berline n’avait pas encore eu le temps d’achever son premier mille, lorsque survint une ravissante jeune fille dont le pas léger semblait à l’unisson de son petit cœur. Il n’y a rien d’indiscret à supposer que cette démarche sautillante fit se dénouer sa jarretière. Sentant glisser le ruban