Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
CONTES ÉTRANGES

vaient effrayés en contemplant cette statue si vivante dans son immobilité qu’elle semblait une créature surnaturelle.

Il y avait en effet dans cette physionomie une indéfinissable expression. Quelle pouvait être, se demandait-on, cette étrange beauté et d’où venait-elle ? les fleurs bizarres qui paraient sa tête, ce teint légèrement cuivré, mais plus éclatant cent fois que celui des filles du pays, ce costume si riche, si original et pourtant si décemment porté, ces broderies si délicates, jusqu’à cette chaîne massive, à ces bagues curieuses, à cet éventail si finement découpé dans l’ébène et la nacre ; où Drowne avait-il vu tout cela, si ce n’était en songe ? et cette figure qu’illuminaient deux grands yeux noirs, et cette bouche voluptueuse remplie de promesses, et ce sourire légèrement ironique, où le sculpteur les avait-il pris ?

— Quoi ! lui dit un jour Copley, vous consentiriez à ce que ce chef-d’œuvre allât orner la proue d’un brick marchand ? Donnez à votre capitaine cette Britannia qui fait bien mieux son affaire, et envoyez en Angleterre cette jolie fée. Je veux être pendu si vous n’en retirez point mille guinées.

— Je n’ai pas travaillé dans l’espoir d’une récompense pécuniaire, répondit Drowne.

— Quel être singulier ! pensa le peintre, il est yankee et ne tient point à l’argent. Allons, il est devenu fou sans doute, et c’est le secret de son inspiration.

Le bruit courait que Drowne donnait des signes d’aliénation ; on l’avait surpris au pied de sa statue lui tendant les bras et regardant avec une ardeur passionnée ce beau visage qu’il avait tiré du néant. Les dévots de l’endroit ajou-