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CONTES ÉTRANGES

âme en poursuivant un but que ma congrégation ne considère pas comme très-orthodoxe ; eh bien, pensez-vous que je fasse volontairement un tort si grave à ma réputation, à mes affaires ; que je risque d’être tué et, qui pis est, damné, sans la chance d’un profit raisonnable ?

— Non, pieux Pigsnort, fit l’homme aux lunettes, je ne vous crois point capable d’une si grande folie.

— Vous pouvez en être assuré, reprit le marchand ; aussi, si je trouve la grande escarboucle et qu’elle ait seulement la centième partie de la grosseur et de l’éclat qu’on lui attribue, elle sera encore bien supérieure au fameux diamant du Grand Mogol, dont le prix est inestimable ! Or je m’embarquerai alors pour l’Europe : j’irai en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie, en Turquie, et je vendrai ma pierre au potentat qui mettra la plus forte enchère. Tel est mon plan ; si quelqu’un de vous en a un meilleur, qu’il l’expose.

— Ainsi ferai-je, s’écria le poëte, homme sordide qui ne connais d’autre éclat que celui de l’or, et qui ne rêves de posséder cette merveilleuse pierre que pour l’échanger contre un monceau de guinées. Moi, si je la trouve, je la cacherai soigneusement sous mon manteau, puis je retournerai toujours courant jusque dans ma petite chambre de Londres. Là, jour et nuit, je la couverai de l’œil, mon âme s’épanouira dans sa contemplation, et son doux éclat se reflétera dans chacun de mes vers, si bien que, lorsque depuis longtemps j’aurai disparu de ce monde, il entourera mon nom comme d’une auréole.

— Bien dit, poëte ! s’écria le porteur de lunettes ; mais songes-y bien, si tu la caches sous ton manteau, elle bril-