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CONTES ÉTRANGES

paux habitants de la colonie vinrent tour à tour lui exprimer leur ambitieux désir de transmettre leurs traits à la postérité, par l’intermédiaire de son talent. Chaque fois qu’une telle proposition lui était adressée, il fixait sur le postulant son regard pénétrant. Rencontrait-il un visage satisfait, un teint fleuri, malgré la richesse de l’accoutrement et l’importance du salaire proposé, il s’excusait poliment de ne pouvoir accomplir cette tâche. Si, au contraire, le front qu’il considérait lui révélait une intelligence supérieure, une certaine délicatesse de sensation, ou simplement une profonde expérience des hommes et des choses ; s’il rencontrait dans la rue un de ces mendiants à la barbe blanchissante, aux sourcils froncés, au front sillonné de rides caractéristiques, ou si quelque bel enfant levait sur lui ses yeux profonds et doux, les trésors de son art, qu’il venait de refuser à la richesse, il les prodiguait pour eux sans hésiter.

Un talent de cet ordre était chose si rare dans la colonie, que le peintre y devint bientôt l’objet de la curiosité générale. Que l’on appréciât ou non le mérite artistique de ses productions, peu lui importait ; il préférait de beaucoup le sentiment irréfléchi de la multitude au jugement plus raffiné des amateurs. Il prenait soigneusement note de l’effet produit par chacune de ses œuvres sur ses admirateurs les plus naïfs, et mettait à profit les remarques qu’ils laissaient échapper sur l’élève de la nature rivalisant avec un maître inimitable. Cette admiration n’était pourtant point exempte des préjugés causés par l’ignorance qui régnait généralement à cette époque. Les uns regardaient comme une atteinte à la loi mosaïque, presque comme une insulte à la