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CONTES ÉTRANGES

l’écart, je n’ai peint que ce que j’ai vu ; le véritable artiste doit lire sur les traits de son modèle les sentiments qui l’agitent. C’est le plus beau de ses attributs, mais souvent aussi le plus triste, de lire ainsi dans les cœurs, et, mû par une puissance plus forte que sa volonté, d’illuminer le regard ou de l’assombrir, en donnant aux yeux une expression en quelque sorte prophétique… Tenez, ajouta-t-il en feuilletant rapidement un album où sa fécondité déposait à chaque instant les caprices les plus divers, je souhaite pour cette fois que ma perspicacité soit en défaut, regardez ce dessin, et voyez si l’expression de votre figure n’est pas la même que celle de votre portrait. Si vous le désirez, je puis retoucher mon œuvre, mais cela changera-t-il les événements ? Regardez.

Elle jeta les yeux sur l’esquisse, un frémissement parcourut tout son être et un cri d’effroi fut sur le point de s’échapper de ses lèvres, mais elle eut assez d’empire sur elle-même pour le réprimer. En se retournant, elle aperçut Walter qui s’avançait vers elle.

— À quoi bon retoucher mon portrait ? dit-elle vivement, s’il a l’air triste, je serai gaie, cela fera contraste.

— Qu’il en soit comme vous le désirez, dit en s’inclinant l’artiste ; puissent vos chagrins n’être qu’imaginaires et votre portrait en porter seul la triste expression ! qu’en revanche votre bonheur soit profond et durable et qu’il se grave sur ces traits charmants, dût mon art être accusé d’imposture, c’est mon souhait le plus cher.