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LES PORTRAITS PROPHÉTIQUES

II

Après le mariage de Walter et d’Élinor, les deux portraits devinrent le plus bel ornement de leur demeure. Ils étaient placés en regard l’un de l’autre et séparés seulement par un étroit panneau. Des étrangers de distinction, familiers avec les chefs-d’œuvre de l’art, proclamèrent, après les avoir contemplés, que ces deux toiles étaient peut-être les plus admirables spécimens de la peinture moderne. D’un autre côté, le vulgaire, qui se contentait de comparer les traits des deux modèles avec ceux des copies, jugeait la ressemblance parfaite. Mais il y avait une troisième classe d’observateurs : c’étaient des personnes douées d’une finesse de perception provenant d’une nature facilement impressionnable et que les deux portraits frappaient bien autrement que les amateurs de peinture et le profane vulgaire. Au premier coup d’œil elles ne voyaient dans ces deux toiles que ce que chacun avait pu y remarquer. Mais à mesure qu’elles les considéraient, leurs regards ne s’en pouvaient plus détacher, au point qu’elles fussent restées des jours entiers absorbées dans une muette contemplation.

C’était le portrait de Walter Ludlow qui attirait d’abord l’attention ; en l’absence des nouveaux époux, les visiteurs discutaient quelquefois sur l’expression que le peintre avait eu l’intention de donner à ses traits. Tous étaient d’accord qu’ils trahissaient une violente émotion, mais il n’y en avait pas deux qui tombassent d’accord sur le motif qui, dans l’idée du peintre, avait dû la faire naître. Quant au portrait d’Élinor, les opinions étaient moins partagées et tous s’accor-