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LA FILLE AUX POISONS

Un second entretien fut l’inévitable conséquence de cette première entrevue, puis un troisième, un quatrième ; bientôt enfin ce ne fut plus un incident pour Giovanni, mais un événement quotidien, et, pour ainsi dire, une condition désormais nécessaire de son existence.

De son côté, la fille du docteur attendait chaque jour avec non moins d’impatience l’arrivée du jeune homme, et, sitôt qu’elle l’apercevait, elle courait à lui avec autant de pétulance et de familiarité que s’ils eussent été deux compagnons d’enfance. Si, pour une raison fortuite, il manquait d’exactitude, elle allait se placer sous sa fenêtre, et, d’une voix mélodieuse, qui trouvait toujours un écho dans le cœur du jeune homme, elle lui criait :

— Giovanni ! Giovanni ! Pourquoi tardes-tu ? Viens donc !

Et aussitôt, il se hâtait de descendre dans cet Éden empoisonné.

Malgré cette douce familiarité, il y avait dans l’attitude de Béatrix une telle réserve que l’idée de l’enfreindre ne se présentait seulement pas à l’imagination de l’étudiant. Ils s’aimaient, tout le prouvait, et leurs yeux, truchement de leurs âmes, avaient depuis longtemps trahi ce doux secret, trop saint pour s’échapper de leurs lèvres. Ils avaient, il est vrai, souvent parlé d’amour, mais jamais dans l’effervescence de la passion, lorsque leurs haleines embrasées se confondaient presque, jamais ils n’avaient échangé un seul baiser, un serrement de main, ni aucune de ces délicieuses privautés qui sont la menue monnaie de l’amour. Jamais Giovanni n’avait osé toucher seulement du bout du doigt une des boucles soyeuses de la chevelure de Béatrix. Tellement était grande, en un mot, la barrière physique qui