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CONTES ÉTRANGES

s’élevait entre eux deux, que la jeune fille prenait même soin que sa robe agitée par la brise ne pût frôler son amant.

Béatrix s’apercevait-elle que le jeune homme semblait disposé à franchir cette barrière, sa figure prenait aussitôt une telle expression de tristesse et de frayeur, qu’il n’était pas besoin d’un mot de reproche pour le rappeler à lui. C’est alors que les plus affreux soupçons se réveillaient dans son cœur comme autant de monstres dressant devant lui leurs têtes hideuses. Son amour semblait s’évanouir à mesure que ses doutes prenaient plus de consistance. Chaque jour, il prenait la résolution de questionner Béatrix sur les motifs de sa mystérieuse conduite, mais sitôt qu’apparaissait le beau et pur visage de Béatrix, il lui semblait la plus victorieuse réponse aux chimères de son esprit.

Cependant un temps considérable s’était écoulé depuis la dernière rencontre de Giovanni avec Baglioni. Un matin, il fut désagréablement surpris par la visite du professeur, auquel il n’avait guère pensé depuis plusieurs semaines et qu’il eût volontiers oublié depuis longtemps. Dans l’état d’excitation où il se trouvait, il ne pouvait souffrir la société d’un homme auquel il n’aurait osé conter ses souffrances, et le docteur Baglioni était certes le dernier qu’il eut voulu honorer d’une pareille marque de sympathie.

Le visiteur l’entretint quelques instants des bruits de la ville et de l’Université, et puis changeant brusquement de sujet :

— J’ai lu dernièrement, dit-il, dans un vieil auteur classique, une histoire qui m’a fortement intéressé. Peut-être vous la rappelez-vous ? C’est celle d’un prince indien qui avait envoyé une femme parfaitement belle à Alexandre le Grand, séduisante comme l’aurore, éclatante comme le